
Lorsque la sonde spatiale japonaise
Hayabusa2 a renvoyé sa capsule d’échantillons d’astéroïdes vers la Terre en décembre
2020, les scientifiques et les ingénieurs ont applaudi à tout rompre. Après
une mission de huit ans sur l’astéroïde Ryugu, vieux de 4,6 milliards
d’années, des morceaux de cet ancien rocher étaient enfin en route vers la
Terre.
Hayabusa 2 capturant son ombre sur l’astéroïde
Dix-huit mois plus tard, la capsule a été ouverte et ses trésors ont soumis
à toute une série d’analyses scientifiques. L’agence spatiale japonaise, la
Jaxa, se doutait que les précieux échantillons collectés par Hayabusa2
seraient d’une grande valeur scientifique. Les premières analyses chimiques
montrent à quel point ils sont exceptionnels.
Photo prise depuis la surface de l’astéroïde
Dans une étude, publiée dans la revue Science le 9 juin, les
scientifiques de la Jaxa fournissent la première évaluation approfondie des
échantillons récupérés sur Ryugu depuis leur retour sur Terre. «
Nous avons découvert que
Ryugu est la chondrite CI la plus fraîche jamais trouvée
», a déclaré Shogo Tachibana, chercheur principal de la Jaxa chargé de
l’analyse initiale des échantillons.
Un portail vers les premiers jours du système solaire
Cela signifie que les matériaux récupérés sur l’astéroïde sont les plus
primitifs que l’homme ait jamais pu analyser sur Terre. Ils constituent un
portail vers les tout premiers jours du système solaire, lorsque le Soleil
n’était qu’une étoile naissante et que les planètes commençaient tout juste
à se former. Bien que l’étude publiée jeudi constitue une étape importante,
elle n’est que la première phase dans la compréhension du système solaire
et de notre place dans celui-ci.
La mission Hayabusa2 a été lancée en 2014 avec l’objectif de récupérer des
échantillons de l’astéroïde Ryugu, nommé d’après le « Palais du dragon »,
un célèbre conte populaire japonais. L’astéroïde appartient à la classe la
plus courante dans notre système solaire, le type C, et a la forme d’une
toupie. Son orbite autour du soleil s’étend au-delà de Mars. Certains
scientifiques pensent que ces types d’astéroïdes ont livré à la Terre les
matières premières nécessaires à la vie, et c’est la raison pour laquelle
la Jaxa a voulu enquêter sur
Ryugu et prélever des roches à sa surface.
Après un voyage de quatre ans, Hayabusa2 a rencontré l’astéroïde et, en
2019, y a effectué deux brefs atterrissages, ramassant au passage des
échantillons et les stockant dans une capsule. Cette dernière a atterri
dans la brousse australienne en 2020 et sa précieuse cargaison a été
soigneusement gérée depuis.
Les deux atterrissages sur Ryugu ont permis de prélever 5,4 grammes
d’échantillons à la surface et sous la surface de l’astéroïde. Ce matériau
se présente sous la forme de petits cailloux et de roches, dont la taille
peut atteindre environ 1 cm. Dans le cadre de l’étude publiée le 9 juin,
une infime partie de l’échantillon, environ 2 % du total, a été prélevée
afin d’examiner la chimie et la structure de l’astéroïde et de tirer des
conclusions sur sa formation et sa transformation au cours de son
existence. Pour ce faire, il a fallu utiliser de puissants microscopes
électroniques et des spectromètres, qui peuvent fournir des détails sur les
composés chimiques présents dans un objet en fonction de la façon dont
celui-ci reflète la lumière.
Les scientifiques en concluent que Ryugu s’est probablement formé après
qu’un énorme corps rocheux du système solaire primitif ait été percuté par
un autre corps rocheux. Les éclats projetés lors de la collision ont fini
par former, sous l’effet de la gravité, l’astéroïde en forme de toupie que
nous connaissons sous le nom de Ryugu. D’après l’analyse, l’impact s’est
probablement produit entre 2 et 4 millions d’années après la formation du
système solaire. Et au vu de la façon dont les échantillons ont été altérés
par l’eau, les scientifiques pensent qu’ils datent d’environ 5 millions
d’années après la formation du système solaire.
«
Tout s’est passé à un moment très, très précoce [par rapport à] la
formation du système solaire
», explique Shogo Tachibana. Depuis lors, l’astéroïde est plongé dans une
sorte d’hibernation, sa composition ayant peu changé.
Pourquoi les météorites sont si importantes
Pour comprendre l’importance de ces échantillons, il faut se pencher sur
les fragments de météorites qui sont tombés sur Terre. Les météorites
peuvent être classées en groupes distincts en fonction de leur composition
et de leur chimie. Le type de météorites le plus rare que les scientifiques
aient vu est connu sous le nom de chrondrites CI. Depuis les années 1800,
nous n’avons vu que cinq météorites de cette classe tomber sur Terre. L’une
des plus célèbres est celle d’Orgueil, qui s’est produite en France en
1864, et une autre est Ivuna, qui a été découverte en Tanzanie.
«
Contrairement à d’autres groupes de météorites, la chimie des
chondrites CI n’a pas évolué ou été modifiée, et elles peuvent nous
renseigner sur la composition initiale du système solaire
», explique Ashley King, qui dirige la division des sciences minérales et
planétaires du Natural History Museum au Royaume-Uni.
En bref, les chondrites CI sont les roches les plus primitives que nous
ayons jamais trouvées. Elles proviennent d’une époque où le système solaire
commençait tout juste à se former. Mais les roches qui parviennent jusqu’à
la Terre sont altérées par notre atmosphère et le voyage vers le sol.
Lorsqu’elles pénètrent dans l’atmosphère, elles se réchauffent et de
nouveaux minéraux et produits chimiques se forment. Puis, lorsqu’elles
atterrissent, elles sont modifiées par l’humidité et les interactions avec
l’eau.
Jusqu’à la mission Hayabusa2, nous n’avions pas la possibilité de savoir
quelle était réellement la composition chimique d’un astéroïde dans
l’espace. En résumé, les scientifiques ont désormais accès à la plus
ancienne époque de notre système solaire et les implications pour les
études futures sont vastes. Les chercheurs de la Jaxa ont exploré une
météorite qui n’est jamais arrivée sur Terre et n’a donc jamais été altérée
par les conditions de notre planète. C’est un résultat phénoménal.
«
Les échantillons de Ryugu sont les matériaux extraterrestres les plus
chimiquement primitifs que l’on puisse étudier actuellement et ils
permettront de réaliser de nouvelles percées dans notre compréhension
de l’origine et de l’évolution des systèmes planétaires
» se réjouit Ashley King.
Les éléments constitutifs à la vie ?
Ce premier article n’est qu’un début pour les scientifiques de la Jaxa. Au
cours des prochains mois, de nombreux autres détails sur les échantillons
de Ryugu devraient être révélés, notamment le magnétisme de la roche, la
façon dont elle a été affectée par la météorologie spatiale et son
exposition au vent solaire et aux rayons cosmiques.
Et la Jaxa n’est pas la seule à s’intéresser à Ryugu. La Nasa a acquis 10 %
des échantillons et effectuera sa propre analyse, en cherchant à comparer
les résultats avec ceux de sa propre mission de retour d’échantillons
d’astéroïdes, Osiris-Rex, qui a visité l’astéroïde Bennu en 2020. Cette
mission devrait ramener des échantillons sur Terre en septembre de l’année
prochaine.
Que vont découvrir les scientifiques ? Les possibilités sont infinies. Ce
n’est pas encore confirmé officiellement, mais il se pourrait que la Jaxa
ait également identifié des acides aminés, les « éléments constitutifs de la vie », dans les échantillons de Ryugu.
Une telle découverte renforcerait l’idée que des composés organiques ont pu
être déposés sur la Terre depuis l’espace.
Au fur et à mesure que les scientifiques du monde entier étudieront les
fragments de roche de Ryugu et de Bennu, notre compréhension encore floue
des premiers temps de l’histoire du système solaire se précisera
progressivement. Potentiellement, cela pourrait même révéler d’où nous
venons. En étudiant les anciennes roches de l’espace, nous pourrions
découvrir que la substance même qui nous constitue est peut-être arrivée
via une roche il y a des milliards d’années.
Article de CNET.com adapté par CNETFrance
Image : JAXA/Akihiro Ikeshita
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